Le verdict a été rendu le 29 juin 2022, après un procès qui a duré près de 9 mois. Emmanuel Carrère et Guillaume Auda, font partie des journalistes qui ont suivi ce procès au quotidien. ils en ont tiré chacun un livre paru en 2022. Deux témoignages bouleversants bien sûr, complémentaires et aussi pédagogiques sur notre justice : “V13″, d’Emmanuel Carrère et “Jeunes à crever” de Guilllaume Auda.
J’ai lu d’abord V13 (P. O. L.), d’Emmanuel Carrère qui a suivi le procès pour Le Nouvel Observateur. Ses chroniques parues dans l’hebdomadaire ont été réunies dans le livre. Et pendant le procès, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt les chroniques de Guillaume Auda sur Twitter. Découverts par hasard, ces longs threads remplis d’émotion m’ont captivée. Point commun entre ces deux livres : le souci de restituer l’atmosphère de ce procès qualifié de “hors norme” avec plus de 2 300 victimes constituées en partie civile, 400 ayant témoigné.
V13 découpe son compte-rendu en suivant le déroulement du procès : les victimes, les accusés, et termine par “La Cour”. E. Carrère s’attache à décrire les relations entre des personnes qui ne se seraient jamais croisées si ce procès n’avait pas eu lieu. Il a choisi des figures représentant l’ensemble des victimes, à la fois singulières et universelles quand elles nous évoquent une personne familière que nous aurions pu croiser, fréquenter…Chaque “histoire” transmet sa souffrance, la réalité d’une vie brisée. Vindicatives, résignées, haineuses, soucieuses de comprendre, toutes les victimes témoignent d’une même réalité : la rupture avec la vie d’avant l’attentat, l’inscription de l’événement dans les têtes et les corps. Oui, elles nous sont proches parce qu’elles nous ressemblent mais au-delà de leurs témoignages elles nous forcent à ressentir le malheur d’une façon plus large. Quel que soit l’endroit du monde, quand on entend le mot attentat, on ne réagit plus de la même façon.
Le livre de Guillaume Auda, Jeunes à crever (Cherche Midi), est plus centré sur le sens de la procédure et de la défense d’un accusé quel qu’il soit. Il nous ramène aux fondamentaux de notre justice. Le journaliste s’est attaché aux pas de Marie Violleau, l’avocate en charge de la défense de Mohamed Abrini, impliqué” dans la préparations des attentats, l’accusé le plus important (en quelque sorte) après Salah Abdelsam.
A travers les discussions rapportées entre le journaliste et l’avocate, on se sent très calé en droit pénal, mais surtout on comprend mieux ce que signifie être avocat de la défense dans un procès lié à un événement aussi retentissant pour la société française.
M. Violleau tient une grande place dans le récit de G. Auda, ce qui m’a parfois agacée. Après avoir refermé le livre, j’ai compris que ces entretiens étaient le fil d’Ariane qui guidait le lecteur dans les méandres du procès : comment le président mène les débats (tout est stratégique, il ne se contente pas de suivre un déroulement écrit d’avance), comment les avocats ajustent leurs interventions selon la façon dont le président organise les débats, etc. Cet attachement au respect des règles de la défense nous apporte non seulement du recul par rapport à nos émotions et notre colère, mais aussi nous rappelle à quel point nous avons de la chance de vivre dans un Etat de droit où le débat contradictoire est une règle de base. M. Violleau exprime clairement son opinion à propos de la perpétuité, “une mort sociale” selon elle.
Impossible de ne pas éprouver une certaine admiration pour celles et ceux qui ont suivi, organisé, mené au quotidien ces 10 mois de procès. Guillaume Auda décrit très bien la fatigue physique, le besoin de se retrouver entre personnes qui ont vécu ce moment unique, le trop plein de consommation d’alcool pour décompenser après les audiences. Nous ne sommes que des humains.
Et un jour, dans le train entre Paris et Marseille, j’ai terminé le chapitre 13 novembre avec La Décision de Karine Tuil. Pas vraiment un hasard. Je l’ai acheté à la gare car j’avais terminé Jeunes à crever à l’aller. L’histoire d’Alma, juge d’instruction au parquet anti-terroriste, qui doit rendre une décision à propos d’un homme suspecté d’avoir rejoint les rangs de l’état islamique en Syrie. Doit-elle le libérer ou le mettre en examen compte tenu des éléments à sa disposition et des gages de “bonne foi” livrés par le suspect lors des interrogatoires ? La transcription de ces interrogatoires ponctue le livre en alternance avec des épisodes de la vie d’Alma. En instance de divorce avec Ezra, Alma vit une liaison avec Emmanuel, avocat de terroristes. Tous ces ingrédients produisent une situation addictive, même si les ficelles sont parfois un peu grosses.
On s’en doute, la décision d’Alma aura de lourdes conséquences pour la société et dans sa vie personnelle. Le roman est très documenté, crédible et lu à la suite des comptes rendus du procès des attentats du 13 novembre, il apporte une vision distanciée : celle de la juge d’instruction. Le pouvoir de la fiction !
Je vous encourage à le lire car E. Carrère renouvelle de façon brillante le compte-rendu de procès. Une lecture remplie d’émotion.
“E. Carrère s’attache à décrire les relations entre des personnes qui ne se seraient jamais croisées si ce procès n’avait pas eu lieu.” Typique de la façon de procéder de l’écrivain. Ca me donne envie de lire V13.