“Le “nature writing” est un “genre littéraire anglo-saxon et américain qui n’a pas d’équivalent en France. Ce n’est pas vraiment un style, plutôt une sensibilité, un rapport au paysage”. C’est une citation d’Olivier Gallmeister, fondateur de la maison d’édition éponyme, spécialisée dans la littérature nord-américaine : “L’Amérique grandeur nature”. (L’empreinte d’une patte d’ours : Gallmeister a choisi ce logo. C’est mignon !). Voici deux livres très différents qui illustrent ce genre littéraire, et dans lesquels le lien entre la nature et l’homme est vital.

Muir Wood, Californie, août 2015 Photo Ph. Dixmier
Dans la forêt, de Jean Hegland, traduit de l’américain par Josette Chicheportiche, Editions Gallmeister
Comment tuer un sanglier à l’aide d’un arc puis le dépecer ? Comment accoucher dans la forêt assistée seulement de sa soeur ? Comment installer un potager de survie quand ils ne vous reste que quelques graines ? Ce roman aurait pu s’intituler “manuel de survie quand la fin du monde approche et que vous vous retrouvez seules mais à proximité d’une forêt” ! Plus sérieusement, “Dans la forêt” est un beau livre inspiré par la volonté de conserver son humanité dans un contexte de fin du monde.
Nell et Eva, deux soeurs, se retrouvent seules dans la maison où elles ont toujours vécu, installée au seuil d’une forêt. Leurs parents sont morts. Le monde s’est écroulé et on ne sait pas vraiment pourquoi. Une épidémie meurtrière ? Une catastrophe naturelle ? Les informations qui parviennent à Nell et Eva sont plutôt des rumeurs qu’elles récoltent au cours de leurs rares visites à Redwood (Californie), la petite ville près de laquelle elles vivent. Après la mort de leur père, Nell et Eva vont apprendre à s’organiser pour survivre en développant chacune une forme de résistance à la catastrophe.
Nell, la narratrice, devait passer d’ultimes tests avant d’intégrer Harvard. Elle va compenser ces années perdues en s’astreignant à la lecture quotidienne d’une encyclopédie en respectant l’ordre alphabétique. Cette lecture lui permettra d’engranger des connaissances sur les plantes ainsi que sur la grossesse et l’accouchement, très utiles pour la suite des événements…
Eva, est danseuse et devait rejoindre le ballet de San Francisco. Comme sa soeur, elle s’impose une discipline stricte en continuant à danser tous les jours, seule, isolée dans une grange, au rythme d’un métronome (plus d’électricité, plus de musique).
Au début du livre, l’angoisse est diffuse mais ne transparait pas dans l’attitude des deux soeurs. Nous, lecteurs, sommes plus angoissés que Nell et Eva. D’où viendra le danger ? Pas de la forêt environnante car c’est elle qui va aider les deux soeurs à survivre. Le danger surgira avec l’irruption deux hommes : celui qui essaiera d’entraîner Nell avec lui dans sa fuite vers l’Est (là où, selon les rumeurs, le pays se reconstruit) et celui qui agressera Eva.
Nell et Eva survivront car elles n’ont pas renoncé à ce qu’elles sont. Et peu importe ce qui est arrivé au reste du monde, J. Hegland laisse la porte ouverte à l’espoir.
Après avoir lu Dans la forêt, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à La Route de Cormac McCarthy. Autre exemple de “littérature de fin du monde” (une classification que je viens d’inventer). Mais là où Nell et Eva vont survivre en restant dans leur maison puis en choisissant la forêt – leur autre maison – le père et le fils de La Route sont dans l’errance, dans un espace où la nature a disparu mais où l’humanité est plus forte que tout, à travers le lien entre le père et le fils.
L’éternelle question qui se pose à tout survivant : quels livres conserver quand l’humanité s’écroule ? Nell se pose la question avant de quitter leur maison. Elle doit faire un choix. Pour sa soeur, elle choisit “Plantes indigènes de la Californie du Nord“, “puisqu’il lui avait peut-être sauvé la vie”. Pour son neveu, Nell hésite entre Les Contes de la Mère l’Oie, Don Quichotte (le pauvre !), Dune (idem !), etc. “Finalement, j’ai décidé de lui prendre le recueil des chants et de récits humains qui avaient peuplé la forêt avant nous.” Et pour elle, Nell choisit…l’Encyclopédie (L’Index de A à Z) : “En attendant, j’emporterais l’Index pour ne pas oublier, afin de me rappeler – et de montrer à Burl – la carte de tout ce que nous avions dû abandonner derrière nous.”
(J’aime bien cet exercice qui consiste à se demander quels livres on emporterait sur une île déserte. Chaque mois, le magazine Lire pose la question à un auteur. Mais les choix sont souvent assez convenus, rares sont ceux qui sortent du lot.)
Les Animaux, de Christian Kieffer, Albin Michel, traduit de l’américain par Marina Boraso
Quittons la Californie pour l’Idaho (plus au Nord-Ouest) où vit Bill Reed dans un refuge pour animaux. Attention ! Ce ne sont pas des chiens et des chats abandonnés comme à la SPA. Non, les animaux de Bill sont des loups, des pumas, des rapaces et même…un ours (le tout venant des forêts du coin), tous blessés et soignés dans le refuge. En Amérique du Nord, on se retrouve vite confronté à la nature sauvage.
Bill vit tranquillement auprès de ses animaux en attendant de s’installer avec sa fiancée, vétérinaire, jusqu’à l’irruption de Rick, un ami surgi de son enfance et sa jeunesse. Rick sort de prison.
A partir de là, Bill est rattrapé par son passé. Un scénario classique mais sublimé par la présence de ces animaux sauvages et blessés, dépendants de l’attention des hommes. Ces animaux représentent la rédemption pour Bill. Vont-ils le sauver de sa trahison du passé ou être sacrifiés sur l’autel de la vengeance de Rick ?
Moins prenant, selon moi, que Dans la Forêt, Les Animaux est aussi un roman qui exprime ce rapport profond que certains américains entretiennent avec la nature avec comme un espoir de rédemption.
Je viens d’achever “dans la forêt”, que j’ai bien aimé. Je n’avais pas du tout vu venir la fin, en fait. Je l’ai trouvé assez violent, une violence sourde, angoissante. Après coup, j’ai trouvé la première partie (le récit de l’enfance) un peu longue, et j’étais un peu frustrée que cela s’arrête à leur départ. J’aurais aimé en savoir davantage sur leur vie dans la souche (mais il n’y a pas de toit !). Mais je suppose que c’est mieux ainsi, que le journal finisse au feu comme le reste. Eva renonce bien à danser, Nell renonce à écrire.
J’ai beaucoup apprécié la fluidité de la langue, simple mais pas simpliste.