Du music-hall à Saint-Tropez : deux moments dans la vie de Colette

J’avais lu il y a longtemps “la série des Claudine” et, pendant de nombreuses années, je n’ai rien lu de Colette. La visite du musée Colette dans son joli village de Saint-Sauveur-en-Pusaye m’a donné envie de lire d’autres ouvrages de l’écrivain. J’en ai choisi deux qui se référent à deux moments, deux âges différents de la vie de Colette et qui tous deux mêlent la fiction et l’autobiographie : La Vagabonde, et La naissance du jour.

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La Maison de Colette, à deux pas du Musée Colette. Saint-Sauveur-en-Pusaye (Bourgogne) – Photo Ph. Dixmier

Colette a 37 ans quand elle écrit La Vagabonde. L’héroïne du livre, Renée Nérée, se reconstruit après une rupture douloureuse avec un mari qui la trompait. Pour gagner sa vie, et donc son indépendance, Renée est “artiste de music-hall” (j’adore cette expression désuète)…spécialisée dans la pantomime. L’histoire de Renée se confond trait pour trait avec la vie de Colette, trahie et exploitée par son mari, le célèbre Willy. La Vagabonde est le roman d’une femme qui a choisi la liberté en se débarrassant des entraves d’un mariage malsain. C’est aussi un roman d’ambiance : celle du music-hall avec ces spectacles de pantomime (un genre tombé dans l’oubli ?) que Colette créait dans des tenues ultra-légères. Nous sommes dans les coulisses du spectacle, avec les artistes, leur camaraderie soudée au cours des interminables tournées. Renée va reprendre goût à l’amour auquel elle avait renoncé, en finissant par accepter celui d’un riche et oisif héritier qui la poursuit de ses assiduités.

Renée Néré n’est pas une pleurnicheuse ni une victime. Elle se reconstruit dans un monde alors très difficile pour les femmes et dans lequel le statut d’artiste (danseuse, pantomime, etc.) était porteur d’une notoriété plutôt sulfureuse. Une femme qui se bat et qui ne veut pas “mourir de chagrin” : “Elle meurt de chagrin…Elle est morte de chagrin…Hochez, en entendant ces clichés, une tête sceptique plus qu’apitoyée : une femme ne peut guère mourir de chagrin. C’est une bête si solide, si dure à tuer ! Vous croyez que le chagrin la ronge ? Point. Bien plus souvent elle y gagne, débile et malade qu’elle est née, des nerfs inusables, un inflexible orgueil, une faculté d’attendre, de dissimuler, qui la grandit, et le dédain de ceux qui sont heureux. Dans la souffrance et la dissimulation, elle s’exerce et s’assouplit, comme à une gymnastique quotidienne pleine de risques…Car elle frôle la tentation la plus poignante, la plus suave, la plus parée de tous les attraits : celle de la vengeance.” Un portrait iconoclaste de la femme qui souffre !

Comme Colette, Renée est aussi écrivain mais sa nouvelle vie l’empêche de se consacrer à l’écriture. Colette a fait part dans ses écrits, interviews (etc.) de la difficulté d’écrire et comme cela pouvait lui peser parfois : “Ecrire ! plaisir et souffrance d’oisifs ! Ecrire ! …J’éprouve bien, de loin en loin, le besoin, vif comme la soif en été, de noter, de peindre…Je prends encore la plume, pour commencer le jeu périlleux et décevant, pour saisir et fixer, sous la pointe double et ployante, le chatoyant, le fugace, le passionnant adjectif…Ce n’est qu’une courte crise, la démangeaison d’une cicatrice !…Il faut trop de temps pour écrire ! Et puis je ne suis pas Balzac, moi…Le conte fragile que j’édifie s’émiette quand le fournisseur sonne, quand le bottier présente sa facture, quand l’avoué téléphone, et l’avocat, quand l’agent théâtral me mande à son bureau pour “un cachet en ville chez des gens tout ce qu’il y a de bien, mais qui n’ont pas l’habitude de payer les prix forts”….

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Dans le Musée Colette….des livres anonymes….

La naissance du jour. Colette a 55 ans quand elle écrit ce livre qui a pour décor la maison de l’auteure, La Treille muscate (quel joli nom) sa “petite propriété” de Saint-Tropez (et oui Colette a fait partie des pionniers de Saint-Tropez). Un joli décor pour un renoncement. Un amour s’offre à la narratrice, celui de Vial, un antiquaire de la région plus jeune qu’elle. Cependant, elle le repousse et manoeuvre pour attirer Vial vers Hélène dont l’inclinaison (pour Vial) est manifeste. Colette excelle dans le portrait, même si celui de Vial est un peu vache (mais la chute est tellement drôle) : “Il est à demi couché, le front sur les bras pliés ; je l’aime toujours mieux quand il cache son visage. Non qu’il soit laid, mais au-dessus du corps précis, éveillé, expressif, les traits du visage somnolent un peu. Je n’ai pas manqué d’affirmer à Vial qu’on pourrait le guillotiner sans que personne s’en aperçoive.”

La naissance du jour est un livre empli de sensations : la narratrice aime la lumière méditerranéenne, l’ambiance estivale avec ses tables d’amis chargées de victuailles ensoleillées. Si la narratrice prétend renoncer à l’amour “par décence”, elle goûte toujours autant les plaisirs que lui procurent les paysages, les sorties au bal du coin, les joies de la table, la contemplation de la nature et de ses petites bêtes, le travail de la terre, etc. “Soulever, pénétrer, déchirer la terre est un labeur – un plaisir – qui ne va pas sans une exaltation que nulle gymnastique ne peut connaître. Le dessous de la terre, entrevu, rend attentifs et avides tous ceux qui vivent sur elles. (…) A ouvrir la terre, ne serait-ce que l’espace d’un carré de choux, on se sent toujours le premier, le maître, l’époux sans rivaux. La terre qu’on ouvre n’a plus de passé, elle ne se fie qu’au futur. (…) Le jardinage lie l’esprit et les yeux à la terre, et je me sens de l’amour pour l’aspect heureux, l’expression d’un arbrisseau secouru, nourri, étayé, embourgeoisé dans son paillis couvert de terre neuve…”

C’est bien aussi de relire, ou relire, ses classiques !

 

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1 réponse à Du music-hall à Saint-Tropez : deux moments dans la vie de Colette

  1. Sophie CAMBAZARD dit :

    Bravo pour le reportage photo qui sent le vecu 👍

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