de Benoîte Groult
carnets de pêche et d’amour 1977 – 2003
“J’avais une maison en Irlande…” se moque Benoîte Groult en paraphrasant la première phrase de La Ferme africaine de Karen Blixen.
En fait, B.Groult avait trois maisons : dans le Var, en Bretagne (dont elle était originaire) et dans le Kerry.
Ce Journal d’Irlande recouvre tous les mois d’août passés dans l’île entre 1977 et 2003, soit plus de 20 étés à se geler. Car il fait toujours froid dans ce pays, même en plein été et BG s’en plaint tout le temps.
B. Groult et son mari, l’écrivain Paul Guimard, sont fous de pêche. Dans ce carnet sont consignés les résultats des pêches du jour. Des maquereaux, des oursins, des crevettes, des homards, des lieus….chaque jour est une pêche miraculeuse que Benoîte pratique avec passion et en utilisant un vocabulaire très technique. Les non amateurs de pêche peuvent sauter ces passages qui frisent parfois l’indigestion tant la pêche est abondante.
La couverture people du livre avec François Mitterand venu leur rendre visite dans leur fief irlandais (P. Guimard faisait partie du cercle des conseillers du président) est trompeuse. B. Groult évoque en effet brièvement cette visite sans révélation particulière. Mais j’ai retenu de ces mondanités, la visite du Premier ministre irlandais de l’époque (Charles Haughey), dont BG rapporte ainsi les propos sur l’Europe : “Contrairement aux autres pays, notre entrée dans la communauté européenne a été pour nous l’accès à la souveraineté. Notre voix vaut désormais celle de l’Angleterre : nous ne sommes plus sa colonie.”
“Mais il faut apprendre sa mort”
Ce qui est passionnant dans ce livre, au-delà des exploits en mer de BG et des quelques célébrités de l’époque croisées, c’est la description cruelle et sans fard du vieillissement et de la déchirure qu’il provoque au sein d’un couple. B. Groult ne ménage pas son mari vieillissant qui fume, boit, se laisse aller. “En fait, Paul est mort un jour sur deux. Il s’exerce (…). Mais il faut apprendre sa mort. Peu à peu, ligne à ligne, comme une leçon qu’on ne saura peut-être plus le moment venu. Au moins ne sera-t-il pas complètement ignare en la matière.”
Elle ne s’épargne pas non plus. “Il faut être deux fois plus gaie, deux fois plus drôle, deux fois plus riche et deux fois plus généreuse pour ne pas basculer dans le camp des vieillards.”
Et pour que “le corps exulte” toujours, Benoîte reçoit les visites régulières de Kurt, son vieil amant américain rencontré en 1945. Quand Paul s’en va, Kurt arrive…Benoîte est tout aussi vache avec lui : elle se moque sans cesse de son inculture, son manque de goût. Alors que Kurt lui voue un amour que rien n’arrête, ni la distance, ni l’existence d’une épouse légitime. “Et quand il n’y a rien dans une tête pour remplacer les choses de la vie, quand on a aucun sens de la poésie, de la magie des mots, aucune fantaisie, aucun humour, il ne reste que le trou béant laissé par le désir enfui.”
Et puis il y a l’Irlande : un pays pauvre presque inhospitalier mais à la mer si généreuse. Benoîte reproche aux Irlandais une forme de passivité, de défaitisme. Les années passent et BG nous décrit des pêches moins florissantes, des crustacés qu’elles digèrent moins bien, une sorte de mousse qui apparaît sur la mer, la pollution qui arrive. “Malgré les cochonneries des Irlandais, les ordures à la mer, les vieux moteurs balancés au fond du port, la mer reste encore la plus forte et conserve sa pureté.”
Parfois on se demande pourquoi BG et son mari s’infligent l’épreuve estivale de l’Irlande : “Nous partons dans deux jours. et comme chaque année fin août, nous ne quittons pas l’Irlande, nous nous enfuyons.”
Une génération libre et égoïste ?
J’ai bien aimé ce livre même si les descriptions de pêche sont un peu répétitives (il suffit de sauter les passages) : c’est drôle, vachard, attachant, vrai. Je trouve que BG avait un vrai tempérament sportif pour affronter parfois seule la mer irlandais sur son petit bateau. Toujours coquette, elle parle souvent de ses cheveux martyrisés par le climat irlandais !
Pour les femmes de ma génération Benoîte Groult est, avec sa soeur Flora, une figure du féminisme mais plus légère que la statue Simone de Beauvoir.
A la lecture de ce livre, toute une époque défile, celle d’une génération libre et égoïste, des intellectuels qui ont marqué leur époque, qui nous sont familiers car nous étions jeunes quand ils étaient célèbres. Quelle sera leur postérité ?
Ce livre a été établi et préfacé par Blandine de Caunes, une des filles de B. Groult. Blandine raconte dans la préface que sa mère voulait publier ces carnets d’Irlande “entrecroisés avec des journaux intimes tenus parallèlement”.
J’imagine la difficulté d’une telle entreprise…émouvante et impudique à la fois. “Je me prends encore à croire que mes filles sont ma copie conforme et ne peuvent réagir que comme moi. Déception incurable. Elles sont elles-même et, d’une certaine manière, plus étrangères encore que les autres qui me sont indifférents.”