ou Le temps du désenchantement,
de Svetlana Alexievitch, Editions Actes Sud, traduit du russe par Sophie Benech
S. Alexievitch a reçu le prix Nobel de littérature en 2015. La fin de l’homme rouge est un recueil de témoignages bruts sur la Russie soviétique. S. Alexievitch a interrogé des centaines de personnes, simples citoyens, militaires, membres du Parti, etc. Ces témoignages nous sont livrés à la suite, en apparence sans hiérarchie précise. La forme du livre est étonnante, voire déroutante, même si elle construite sur des chapitres. Voici ce que dit l’auteure à propos de la méthode utilisée “pour consigner les traces de la civilisation soviétique” : “Je pose des questions non sur le socialisme, mais sur l’amour, la jalousie, l’enfance, la vieillesse. Sur la musique, les danses, les coupes de cheveux. Sur les milliers de détails d’une vie qui a disparu. C’est la seule façon d’insérer la catastrophe dans un cadre familier et d’essayer de raconter quelque chose, de deviner quelque chose…L’histoire ne s’intègre qu’aux faits, les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce n’est pas l’usage de les laisser entrer dans l’histoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux d’une littéraire et non d’une historienne.”
Et c’est bien cela qui prédomine à la lecture de ces témoignages : l’émotion des interlocuteurs de S. Alexievitch et celle ressentie par les lecteurs. Même si les témoignages sont redondants, cette redondance est preuve de leur cohérence et de leur crédibilité.
On sent chez certains une sorte de ressentiment envers ce “nouveau monde” issu de la chute du monde soviétique, parfois du regret. On parle beaucoup de saucisson…Certains ont le sentiment d’avoir été achetés pour de la nourriture et des biens de consommation. L’adhésion aux valeurs du monde capitaliste est loin d’être unanime ; leur rejet parfois clairement exprimé.
Petite Histoire et grande Histoire mêlées. On est fascinés et en même temps accablés par tant de malheur. Voici ce que dit l’auteure sur les personnes qu’elle a interrogées (page 18) : “J’ai cherché ceux qui avaient totalement adhéré à l’idéal, qui l’avaient si bien intégré qu’il était impossible de leur arracher : l’Etat était devenu leur univers, il leur tenait lieu de tout, il remplaçait même leur propre vie. Ils n’ont pas été capables de quitter la grande Histoire, de lui dire adieu, d’être heureux autrement.”
On ne lit pas ce livre d’une seule traite mais par petites doses à intercaler avec d’autres lectures.
Lu en 2016