de Wallace Stegner, Editions Gallmeister, traduit de l’américain par Eric Chédaille.
Wallace Stegner (1909-1993) est un auteur américain traduit édité et traduit en français par les éditions Phébus à partir de 1996. Aujourd’hui la jeune maison d’édition Gallmeister, spécialisée dans la littérature américaine, a repris le flambeau.

Couverture de l’édition Phébus, 2002

Gallmeister, 2016
Le titre original de ce livre est The Big Rock Candy Mountain, traduit en 2002 (première parution du livre en France) par La bonne grosse montagne en sucre. L’édition de 2016 se contente de “la montagne en sucre”. Il semble que ce soit une de ces expressions idiomatiques difficiles à traduire.
C’est quoi cette montagne en sucre ? Page 132 : “Il y avait quelque part, pour peu qu’on sût le trouver, un endroit où l’argent se gagnait comme on puise de l’eau au puits, une bonne grosse montagne en sucre où la vie était facile, libre, pleine d’aventure et d’action, où l’on pouvait tout avoir pour rien.” En français, nous dirions “un pays de Cocagne” ? Page 685 : “Il avait sa petite idée quant à l’endroit où il serait chez lui, et son père avec lui : cela se trouvait par-delà l’horizon, sur la bonne grosse montagne en sucre, ce lieu d’une inconcevable beauté qui avait attiré toute la nation vers l’Ouest, cette contrée où une terre grasse laissait sourdre la richesse et où, des cieux, tombait de la citronnade…”
Bref, c’est un roman de 836 pages qui a du souffle et qui en demande au lecteur (ce long compte-rendu est à la mesure des émotions que j’ai éprouvées en lisant ce livre). Cette montagne en sucre est celle que Bo Mason aimerait bien gravir pour s’en procurer une bonne part, avec sa femme Elsa et leurs deux fils Chet et Bruce. Bo et Elsa se rencontrent au début du 20e siècle dans le Dakota. Elle a fui sa famille – norvégienne et rigoriste – pour s’installer chez son oncle. Bo est un aventurier, une force de la nature, qui tient un saloon quand Elsa le rencontre. A partir de leur mariage, l’histoire les emporte à travers l’Amérique du Nord et le Canada, au gré des désirs aventuriers de Bo. C’est un pionnier du 20e siècle. Il tente tout, parfois au péril de sa vie et de celle de sa famille : l’exploitation agricole, celle d’une mine d’or, le trafic d’alcool (on traverse la prohibition). La famille déménage sans cesse. Bruce résume ainsi leur situation (p. 715) : “Nous n’avons jamais, aux Etats-Unis, vécu plus d’un an dans la même maison. Depuis ma naissance, nous avons habité deux pays, dix Etats, cinquante maisons différentes.”
Ce livre est plein de moments magnifiques (et parfois inquiétants) dans lesquels chaque membre de la famille est confronté aux éléments, à la nature. Comme chez de nombreux auteurs américains, on ressent la présence, le poids de cette immense nature. On est épaté par le courage de Bo quand il parcourt des milliers de kilomètres pour… organiser son trafic d’alcool. Tout part d’un “bon sentiment” : une épidémie de grippe sévit et tout le monde semble penser que le whisky peut aider à la prévention ! Bo affronte alors une terrible tempête de neige et va même sauver la vie d’un homme en train de mourir de la grippe, seul, chez lui. Puis c’est Chet, le fils aîné, à peine âgé de 12 ans, qui va se retrouver seul alors que le reste de la famille, touché par la grippe, est mis en quarantaine. Il va tenir tête à des trafiquants qui tente de l’arnaquer. Et le petit Bruce, si poltron qu’il a peur d’aller faire ses besoins dans la nature (la famille Mason n’a pas toujours vécu dans le luxe), va se révéler formidable en chasseur de rongeurs quand son père tente l’aventure de la culture de céréales. Tout l’été, Bruce chasser les gauphres (on peut aussi écrire gaufres) et les martres (très méchantes) qui détruisent les champs. Un chapitre qui a suscité chez moi une sorte de délectation terrifiée vu que je déteste les rongeurs ! Et puis Elsa, toujours formidable et courageuse, qui repart à chaque fois. Elle quittera Bo une seule fois, parce qu’il a maltraité Bruce. Ils se retrouveront.
La fin d’Elsa est à la fois terrible et très digne. Les derniers chapitres donnent la parole à Bruce. Il y parle durement de son père. On ne peut lui donner tort. Bo n’est pas un personnage sympathique. Il est impressionnant de ténacité et de courage mais il est très dur, il manque d’empathie.Voici ce que dit Bruce de son père (p.652) : “(…) un nombriliste tyrannique qui exige la soumission des membres de sa famille tout en étant complètement dépendant de sa femme, plus forte que lui en tout ce qui requiert patience et endurance. (…) une furieuse opiniâtreté qui lui fait attaquer les obstacles de front et souvent les renverser, une immense énergie (le plus souvent mal dirigée), une générosité foncière généralement étouffée par une âpreté au gain et une pingrerie croissantes. A quoi il convient d’ajouter quelque chose comme une disposition, un certain goût, pour la poésie, …” Une facette inattendue de Bo : son côté poète.
Ce roman est une épopée familiale qui accompagne l’histoire d’une nation. W. Stegner est un auteur dont l’écriture est unique dans la façon subtile dont il décrit les relations entre les êtres. Il faut absolument lire ses autres romans, Angle d’équilibre, La vie obstinée, Vue cavalière. W. Stegner a l’art de décrire des liens entre les êtres, parfois violents, parfois tendres, tellement différents de ce que l’on peut lire dans certains livres d’aujourd’hui. Ce n’est jamais mièvre, toujours profond et puissant. Et puis La montagne en sucre, nous raconte aussi l’histoire de l’Amérique ) à travers celle des Mason (page 684) : “Pendant trop longtemps, la nation tout entière avait été comme l’oiseau sur la branche ; pour de trop nombreuses générations, l’Eden s’était toujours trouvé de l’autre côté de l’horizon. Pourquoi demeurer sur le même coin de terre sans attrait quand le paradis est à deux pas ? Les habitants de ce pays étaient comme le sapin du conte de fées qui voulait être coupé et décoré de lumières et de guirlandes afin de voir le monde et d’être un arbre de Noël.”
Un livre remarquable.
Relu en 2016
Mon auteur préféré Wallace Stegner ,ces commentaires m’ont donné envie de le relire.
J’ai un gros faible pour ´la vie obstinée ,triste mais que de personnages différents et intéressants.