de Jane Gardam, Editions JC Lattès, traduit de l’anglais (GB) par Françoise Adelstain
C’est toujours un grand plaisir de découvrir un auteur. Jane Gardam est une des “grandes dames de la littérature anglaise”, prévient la 4e de couverture. Âgée de 89 ans, elle a écrit de nombreux livres dont 8 traduits en français.
J’ai été très touchée par Filth – ce personnage âgé, “véritable légende de la justice britannique” – que le livre nous présente dans la dernière étape de sa vie. Filth (Sir Edward Feathers) est ce qu’on appelait “un orphelin du Raj britannique” (régime colonial britannique que connaît le sous-continent indien de 1858 à 1947). Il est né en Malaisie, dans la province de Kotakinakulu, dont son père est chef de district. La mère de Fitlth meurt en couches et l’enfant, délaissé affectivement par son père, vit ses premières années dans une famille villageoise.
“Les premières années du garçon se déroulèrent donc dans la Long House parmi des peaux brunes, des yeux bruns, des bouts de tissus colorés, au son de la langue malaise ; dormant souvent, parfois chantant, passant le temps à rêver cependant que grondaient le fleuve et la pluie” (p.44)
A 4 ans, Filth est arraché à ce petit paradis par une “Tante May” qui, à la demande de son père, l’emmène en Angleterre pour le placer dans une pension où vivent d’autres orphelins du Raj. Un endroit où les enfants sont maltraités mais une période au cours de laquelle Filth nouera une amitié solide avec Babs, qui, de près ou de loin, l’accompagnera toute sa vie.
Toute sa jeunesse, sera veillée, de loin, par une bande de “Tantes May”, qui s’occupent plus ou moins bien de son confort matériel mais jamais de son bonheur. Filth sera “sauvé”, à l’adolescence, par sa rencontre avec un professeur, exigeant et bienveillant. Et aussi par sa rencontre avec une famille – celle d’un ami du collège – qui l’accueille comme un fils. Ensuite, Filth accomplira une brillante carrière de juge à Hong-Kong (retour aux sources) avant de se retirer en Angleterre avec Betty, sa femme.
La construction du livre est bâtie autour d’allers retours dans la vie de Filth et d’une alternance de moments forts (tel celui où Filth manque mourir en entreprenant un dangereux voyage de retour vers l’Asie) avec les méditations du vieil homme, seul après la mort de Betty. J’ai été particulièrement sensible à la façon dont J. Gardam nous montre comment un homme peut se construire malgré des parents défaillants et un contexte géopolitique complexe. Et surtout dans une conception si britannique de l’éducation à cette époque : une éducation dans laquelle les liens parents enfants ne sont pas si empreints d’affection et d’attachement fusionnel comme nous les vivons aujourd’hui, mais placés sous le signe au mieux du devoir, au pire de l’indifférence.
“Filth vit dans la défection de Loss la métaphore de sa vie. Son destin le condamnait à être celui qu’on quitte et qu’on oublie. D’ailleurs, ils étaient tous partis maintenant. Hors d’atteinte. Pour la première fois, il se retrouvait totalement seul.” (p.285).
Enfin, un mystère plane autour des relations de Filth avec Betty et avec ce nouveau voisin…On découvre que cet homme, retiré lui aussi en Angleterre, est un des anciens collègue et rival de Filth à Hong-Kong. Le Maître des apparences est le début d’une trilogie (Le choix de Betty, L’éternel rival) dont la lecture sera sans doute le moment de découvrir quel est ce mystère….
Lu en 2017