Le nazi et le barbier

de Edgar Hilsenrath
Attila – traduit de l’allemand par Jörg Stickan & Sacha Zilberfarh

Ma deuxième rencontre avec cet auteur mort récemment (en décembre 2018).
J’avais beaucoup aimé le ton de fable poétique que l’auteur avait choisi dans Le retour au pays de Joseph Wassermann.
Changement de registre avec Le nazi et le barbier (déjà avec le titre) : nous voici dans la farce, le grotesque sur un sujet ô combien délicat : l’Holocauste.
Le livre raconte l’histoire de Max Schulz “fils bâtard de Minna Schulz” mais “aryen de pure souche”.

Couverture de Henning Wagenbreth

Il faut tout le brio de Edgar Hilsenrath pour nous faire avaler l’histoire de Max Schulz, assassin nazi, exterminateur de Juifs, qui, après la guerre, s’installe comme barbier en Israël, y devient un citoyen modèle et même un sioniste fanatique. Comment ? En usurpant l’identité de son voisin et ami d’enfance Itzig Finkelstein qui périt, avec sa famille, dans le camp où Max exerçait ses talents meurtriers….
Mais avant d’atteindre Israël, Max doit subir toute une série d’épreuves qui lui font traverser les ruines de l’Allemagne et rencontrer des êtres monstrueux, à son image.

E. Hilsenrath est imbattable pour créer des personnages hors normes, à commencer par Minna, la mère “femme obèse de deux tonnes, jambes minces comprises”. Des personnages à la mesure de l’époque monstrueuse qu’ils traversent. Tout est féroce et choquant, et il faut s’accrocher à la lecture d’une des premières scènes du livre au cours de laquelle Max, âgé de 7 semaines, subit les pires sévices de la part d’un des amants de sa mère.
L’histoire est racontée par Max Schulz lui-même qui apostrophe sans cesse le lecteur incrédule devant le culot monstre du narrateur.

Lors de sa parution, la réception du livre n’a pas été simple. Il a été édité d’abord aux Etats-Unis, en 1971, où Edgar Hilsenrath a vécu quelques années. L’édition allemande date de 1977, car les éditeurs allemands ont, au départ, peu apprécié la façon dont E. Hilsentrah traitait cette part de l’histoire allemande. Dans la postface du livre, Jörg Stickan (ndlr : auteur et traducteur de E. Hilsenrath) rapporte que près de 60 éditeurs ont refusé le manuscrit. Il est vrai que le sujet avait plus souvent été traité du point de vue des victimes que des bourreaux. En ce sens, Hilsenrath avait brisé un tabou.


“Pas comme ça Monsieur Hilsenrath, pas comme ça ! Ce n’est pas comme ça qu’on doit parler de l’Holocauste !” Interdiction absolue d’avoir recours à la satire, fût-elle grinçante de noirceur. (…) ce n’est pas l’image des nazis qui blesse : les Allemands refusent qu’un Juif parle ainsi, avec ironie et humour noir des…Juifs. La génération des filles et fils de bourreaux s’arrogeait le droit de dire comment une victime de la Shoah (n’oublions pas qu’Hilsenrath est un survivant d’un ghetto en Ukraine) doit parler de son histoire, comment elle doit parler des siens. Un comble.”

Le livre se termine par un drôle de dialogue entre Max et “l’Eternel.” Max va mourir, sauf s’il subit une transplantation cardiaque mais comme il exige que son nouveau coeur soit celui d’un rabbin…

“- T’étais où ? A l’époque.
– Comment ça à l’époque ?
– A l’époque…pendant la mise à mort.
– De quoi parles-tu ?
– La mise à mort des sans-défense.
(…)
Je demande : “Tu dormais ?”
et l’Unique et l’Eternel dit : “Je ne dors jamais !”
(…)
– Et tu faisais quoi si tu ne dormais pas ?
(…)
Et l’Unique et l’Eternel dit : “J’ai été spectateur.
– Spectateur ? C’est tout ?
– Oui, spectateur, c’est tout.
– Alors ta faute est plus grande que la mienne, je dis. Et s’il en est ainsi tu ne peux être mon juge.
– Très juste, dit l’Unique et l’Eternel, je ne peux être ton juge.
(…)
Je demande : “On fait quoi maintenant ?
– On fait quoi ?
– On a un problème !”
L’Unique et l’Eternel dit : “Oui on a un problème.”
Et l’unique et l’Eternel descendit de sa chaise de juge et se plaça à mes côtés.

Nous attendons. Tous les deux. La juste sentence. Mais qui pourrait la prononcer ?”

Ce contenu a été publié dans Romans, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire