de Elena Ferrante (Gallimard)
La suite de L’Amie prodigieuse. Lena et Lila ont vieilli. Nous sommes maintenant dans les années 60. Lila a épousé Stefano, l’épicier. Elle accède ainsi au statut de “femme riche” mais elle n’aime pas son mari. Lena, la narratrice, poursuit ses études jusqu’à l’université, à Pise, ce qui constitue une ascension sociale incroyable pour une jeune fille d’un quartier pauvre de Naples.
Les relations entre les deux amies sont en dents de scie, parfois conflictuelles car elles sont toujours en rivalité, même si Lena a pris l’ascendant intellectuel grâce à ses études. Lila cependant garde cet esprit mordant et cette vivacité intellectuelle qui lui permettent de participer aux conversations de Lena et de Nino Sarratore, le garçon dont Lena est amoureuse depuis l’enfance.
Tout va se jouer lors d’un été à Ischia où Nino retrouve tous les jours les deux filles sur la plage. La liaison qui va naître entre Nino et Lila va bouleverser la vie de tous les protagonistes et, bien sûr, la relation entre les deux amies.
Lila va braver tous les préjugés de son milieu pour vivre sa relation avec Nino, jusqu’à se retrouver seule, avec un enfant, ouvrière dans une usine de charcuterie où Lena la retrouve à la fin du livre. Lena va réussir ses études et publier un livre qui lui rapporte un peu d’argent et de célébrité. On les laisse dans cette situation à la fin du livre.
Toujours aussi prenante l’histoire des relations entre ces deux femmes, touchantes et agaçantes. On n’envie pas leur condition face à des hommes qui ne leur arrivent pas à la cheville et qui, en plus, les battent quand ils ne les exploitent pas derrière le comptoir de leurs boutiques. Le livre montre une grande violence dans les relations entre les hommes et les femmes : une violence presque acceptée, comme si elle faisait partie d’un code de relations. Lila ne craint jamais les coups de Stefano.
Page 412, quand Lena découvre les cahiers rédigés par Lila :
“J’appris ces cahiers par coeur. A la fin ils me donnèrent l’impression que le cadre de l’Ecole normale, les amis et amies qui m’estimaient et le regard bienveillant des professeurs qui m’encourageaient à faire toujours mieux, m’enfermaient dans un univers trop protégé et par conséquent trop prévisible si je le comparais au monde tempétueux que Lila, dans les conditions de vie du quartier, avait été capable d’explorer dans ses lignes hâtives, dans ses pages froissées et tachées.”
Lena considère qu’elle se situe toujours dans le “presque”. Quand elle est à Pise, elle est sans cesse obligée de se corriger (son accent, ses expressions, son comportement), pour masquer ses origines populaires et napolitaines. A la fin de ses études, elle lâche prise.
Page 474 :
“Tout à coup, je me rendis compte de ce presque. J’y étais parvenue ? Presque. Je m’étais arrachée à Naples et au quartier ? Presque. J’avais des nouveaux amis garçons et filles qui venaient de familles cultivées, souvent bien plus que Madame Galiani et ses enfants ? Presque. D’examen en examen, j’étais devenue une étudiante accueillie avec bienveillance par ces professeurs absorbés qui m’interrogeaient ? Presque. Derrière ce presque, j’eus l’impression de comprendre comment se passaient vraiment les choses. J’avais peur. J’avais peur comme au premier jour de mon arrivée à Pise. Je craignais ceux qui savaient être cultivés sans ce presque avec désinvolture.”
Lu en 2016