Découvrir Les Saisons est une véritable expérience de lecture, parfois dérangeante mais jamais décevante.
Des ossements jonchent le sol de ce village de montagne paumé où débarque Siméon, le “héros” de “Les Saisons”. Un village d’où se dégage “une sauvage laideur” à l’image du visage de Siméon.
“Il était jeune encore, mais si laid, et d’une laideur si pathétique qu’on ne lui donnait plus d’âge (…). Il y avait plus d’une paume de distance entre ses gros yeux et un nez proéminent qui lui donnait l’air triste d’un vieux bélier.”
Dans ce village de nulle part, les saisons se réduisent à deux événements météorologiques : la pluie ou le gel…bleu. Un monde où quand vient le “gel bleu” on s’attache des animaux vivants sur le corps pour se réchauffer. Tout est sale. On n’y mange que des lentilles dont on fait également une boisson. Et tous les personnages sont pourvus d’un physique grotesque.

Siméon croit pouvoir s’intégrer dans cette étrange communauté. Il se fait accepter par le Conseil en tant que gardien d’une espèce de fontaine et il ira même jusqu’à demander un enfant à Clara Dodge, une femme dont il tombe amoureux dès qu’il l’aperçoit en train de se laver dans une bassine : “une lueur rose”, comme la couleur de la robe que Clara porte toujours dans cet univers si gris.
Vider le coeur et le corps de son pus
Siméon veut écrire. Il transporte dans son sac des feuilles d’un beau papier, cargaison suspecte aux yeux des deux douaniers du village.
Quelques allusions à sa vie antérieure laissent penser que Siméon a beaucoup souffert : sa soeur Enina est morte dans des circonstances violentes, dans un camp.
“Je vais pouvoir ici écrire, écrire. Je vais vider mon coeur de tout son pus. “ Il faut aussi expulser le pus qui suinte de son pied blessé par un os de mouton qu’on lui a jeté lors de son arrivée au village. Pour cela, Siméon a recours aux soins de Croll, le rebouteux du village, un personnage de farce à la dimension mythologique qui soigne les hommes et les animaux. Première rencontre : “Le Croll, une espèce de géant hirsute et dépenaillé, un foulard rouge noué autour du cou, était assis sur le poitrail d’un âne qu’il maintenait de tout son poids, renversé sur le sol. (…) Il était borgne – l’oeil droit était fermé, les paupières collées l’une à l’autre comme celles d’un nouveau-né ; l’autre à ce point injecté de sang que la pupille s’-y détachait en clair sur un fond rouge sombre.”
Deux jeunes et beaux cavaliers vont entrouvrir la perspective d’un autre monde où le printemps existe et le riz cultivé. Siméon va alors entraîner le village de l’autre côté du col pour trouver….quoi ? Les cavaliers ont-ils menti ?
Un livre culte
Pus, sang, sebum, les sécrétions du corps sont invoquées pour créer cette atmosphère de pourrissement qui émane du village. “Les Saisons” est une farce, une fable parfois comique parfois terrifiante, parfois dégoûtante (que d’os, que de pus !).
Une lecture qui m’a décontenancée mais que je recommande pour qui veut faire une découverte littéraire car ce livre ne ressemble à aucun autre. La langue est magnifique : on dirait parfois du Giono. Je ne connaissais pas du tout cet auteur français (1927 – 2016) dont Les Saisons, devenu un livre culte, est l’ouvrage le plus réédité.
Souvent, l’image de Gaspard Hauser, le “calme orphelin” du poème de Paul Verlaine, me venait à l’esprit quand j’imaginais Siméon :
Je suis venu, calme orphelin, Riche de me seuls yeux tranquilles Vers les hommes des grandes villes : Ils ne m'ont pas trouvé malin ...
Les Saisons – Maurice Pons – Christian Bourgois Editeur
Un livre magnifique, une belle écriture 🙂