Underground Railroad, de Colson Whitehead, traduit de l’américain par Serge Chapuis
On croyait tout savoir sur l’abjection humaine et on en découvre encore à la lecture de ce livre. On croyait tout savoir aussi sur l’esclavage aux Etats-Unis et on découvre des événements ignorés (pour moi du moins) de l’histoire de l’émancipation des Noirs. Colson Whitehead raconte l’histoire de Cora, esclave dans une plantation de coton de Georgie. Sa mère, Mabel, a réussi à s’enfuir et on ne sait ce qu’elle est devenue. A son tour Cora va s’enfuir avec Caesar grâce à un réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite que l’auteur matérialise en une voie ferrée souterraine construite par les esclaves eux-mêmes. A partir de là, Cora va vivre un incroyable périple à travers plusieurs états – Caroline du Sud, Indiana, Tennessee – traquée par Ridgeway le chasseur d’esclaves à la solde du “maître” de Cora. Ridgeway est un géant dont l’unique but est de retrouver les fugitifs. Il ne s’est jamais remis de n’avoir pas retrouvé Mabel, la mère de Cora, et le sens de sa vie est maintenant de pourchasser Cora. A chaque fois que celle-ci commence à se reconstruire dans un lieu censé la protéger, Ridgeway réapparaît; Il me fait penser à Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur.
Ce livre est riche d’informations sur la façon dont vivaient les esclaves dans les plantations, comme une micro-société avec ses exclusions, ses relations de voisinage, ses relations intra-familiales, ses anniversaires fêtés au hasard car les esclaves ne connaissent pas la date de leur naissance. On y apprend aussi comment les idées des abolitionnistes se propageaient, comment ils s’organisaient pour aider les Noirs. Pas toujours avec les meilleures intentions d’ailleurs, puisque certains essayaient de faire accepter aux femmes l’idée de la stérilisation sous prétexte de maîtriser la démographie et d’autres les faisaient jouer dans des reconstitutions de villages africains mises en scène dans une sorte de Musée de l’Homme. Cora se retrouve aussi dans une ferme organisée en communauté et dont la prospérité fera le malheur en raison de la jalousie des Blancs.
Evidemment les scènes de violence, de tortures, de mises à mort sont présentes (mais dans un mode plus supportable qu’une scène de Tarantino). Là aussi on en apprend sur la façon de tuer un homme ou une femme en les faisant souffrir le plus possible. Colson Whitehead ne s’appesantit pas. Le peu qu’il décrit suffit. Pas de complaisance dans la violence. Et puis ce livre évoque aussi, sans les creuser, des questions telles que la relation des Noirs américains à leur continent d’origine : c’est la grand-mère de Cora qui a été enlevée et emmenée en Amérique. Et il évoque aussi les autres victimes de l’origine violente des Etats-Unis : les Indiens (les native American).
J’aime beaucoup la couverture du livre. Ce dessin, faussement naïf, avec ce rail qui s’envole vers le ciel exprime à la fois la possibilité de la liberté ou de la mort illustrée par ces oiseaux noirs qui s’envolent des rails explosés. Les passages du livre qui se situent dans les gares souterraines et dans le chemin de fer dressent une ambiance hallucinatoire. Jamais d’apitoiement : Cora est dure, parfois prête à se laisser aller à l’amour mais chaque fois qu’elle s’attache à quelqu’un, le plus souvent la vie le lui arrache.
Ce livre a reçu le prix Pulitzer.
Pulitzer? Mazette. Ca donne envie de le lire. Mets le moi de côté 😉