Plus de 15 livres attendent, rangés en piles sur mon bureau, que je veuille bien en tirer un compte-rendu…Aussi ai-je décidé de les traiter façon rétrospective de l’année comme le font certains journaux.
Je commence avec mes lectures de l’été car j’ai retrouvé mes notes.

J’ai poursuivi ma lecture/relecture de Wallace Stegner avec Angle d’Equilibre (Libretto, traduit de l’américain par Eric Chédaille).
L’angle d’équilibre, ou angle de repos, est l’angle de la pente à partir duquel cessent les éboulements. Susan Ward, l’héroïne de ce livre, va-t-elle le trouver ? Susan est une jeune américaine de la fin du 19e siècle (autour de 1860) qui suit son mari dans l’Ouest. Il est ingénieur et travaille pour des compagnies minières. Susan est issue de la classe moyenne de la Côte Est. Grâce à ses talents de dessinatrice, elle vend des illustrations à des revues. Heureusement pour le ménage car les prospections de son mari ne sont pas toujours fructueuses !
L’histoire de Susan est racontée par son petit-fils, un universitaire en retraite, qui vit seul. Bourru, amputé d’une jambe en raison d’une maladie osseuse, Ward est assisté dans sa vie quotidienne par une jeune femme, une bimbo californienne, qui va l’aider à classer et archiver les lettres de Susan.
Les deux histoires, celle de la grand-mère et de son petit-fils, se déroulent en parallèle comme pour mieux souligner l’incroyable mobilité qui caractérise la vie de Susan et l’immobilité forcée de son descendant.
Susan a vécu des moments très dangereux à une époque où les routes et les voies de chemin de fer n’étaient pas encore tracées (c’est d’ailleurs le travail de son mari). Cette jeune femme qu’on devine raffinée quand elle évoque sa vie sur la Côte Est, a vécu après son mariage dans des maisons sommaires (plutôt des cabanes), où elle a mis au monde et élevé ses enfants, tout en continuant à dessiner, à créer des histoires envoyées aux journaux. Une vie difficile, rythmée par les échecs de son mari soumis aux pressions des compagnies minières et aussi par les déménagements vers des lieux très difficiles d’accès.
Le courage de Susan, de son mari et de leurs enfants est bluffant…surtout comparé aux plaintes de Ward, le petit-fils, qui a vécu dans le confort. La correspondance que Ward a retrouvée contient les lettres que Susan écrivait à son amie Augusta. Avec son mari, rédacteur en chef d’une revue new-yorkaise, Augusta est une figure intellectuelle de cette époque. On comprend qu’Augusta n’a jamais approuvé le mariage ni le mode de vie de Susan. Cette désapprobation tacite est une blessure pour Susan.
Susan est morte à 91 ans et Ward se demande si elle a jamais trouvé son angle d’équilibre :
“Il y eut un temps, là-haut en Idaho, où tout allait de travers ; la carrière de ton mari, ton mariage, ta vision de toi-même, ta confiance, tout partait en morceaux. As-tu fini par t’en sortir, as-tu trouvé je ne sais quel angle reposant de 30 degrés et vécu heureuse par la suite ?”

Les Invisibles, de Roy Jacobsen, traduit du norvégien par Alain Gnaedig, Folio
Un livre que je classerais dans la littérature des îles (classification personnelle, non référencée à ma connaissance). On découvre l’île de Barroy au nord de la Norvège, une île minuscule où vit à peine une famille. L’île où grandit Ingrid dans des conditions difficiles. La jeune fille part régulièrement pêcher avec son père, pour l’école elle doit se rendre sur une autre île…tout est dur et difficile. Le récit regorge de descriptions d’une nature hostile, jusqu’à l’indigestion. Bref, j’ai eu du mal…On se demande comment des hommes et des femmes arrivent à survivre dans un tel environnement. La nature n’est pas toujours l’amie des hommes…
Plus haut que la mer, de Francesca Melandri, traduit de l’italien par Daniel Valin, Folio

Autre île, italienne celle-ci, sur laquelle a été construite une prison. Une île où se rencontrent par hasard Paolo et Luisa. Paolo est le père d’un jeune homme condamné pour terrorisme, complice de plusieurs assassinats (nous sommes autour de 1979). Luisa est la femme d’un homme condamné pour avoir tiré sur un policier.
En raison de conditions météorologiques difficiles, et à la suite d’un accident de la circulation sur la route qui les ramenait au bateau, Paolo et Luisa vont se retourner coincés sous la garde de Pierfrancesco, qui travaille à la prison.
La complicité va naître entre ces trois personnes au cours d’une nuit pas comme les autres. Une complicité qui se prolongera au-delà de l’île pour Luisa et Paolo, pour quelque temps seulement avant que chacun reprenne le cours de sa vie.
Une jolie façon de traiter une rencontre improbable entre une femme simple, qui accomplit ses visites par devoir (par de petites touches on comprend que son mari est un homme violent avec qui elle n’est pas heureuse) et Paolo, un intellectuel qui n’a de cesse d’essayer de comprendre pourquoi son fils est devenu cet activiste borné, enrôlé au point de ne pas hésiter à tuer pour ses idées.
Une belle histoire, traitée avec sobriété.

Le mur invisible, de Marlen Haushofern, traduit de l’allemand par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon
A la suite d’une catastrophe (nucléaire ?), Marlen se retrouve seule au monde dans un chalet des Alpes autrichiennes. Elle est séparée du reste du monde par un mur invisible qu’elle ne peut franchir, et au-delà duquel elle aperçoit des corps pétrifiés, une vie arrêtée. Un thème de la littérature survivaliste (cf. Je suis une légende).
Marlen n’est pas vraiment seule car elle a pour compagnons un chien, Lynx, plusieurs chats, Bella la vache et Taureau, son veau.
De prime abord ce livre avait tout pour m’ennuyer : descriptions de la nature, répétitions monotones des actes quotidiens (traire Bella, planter des pommes de terre, etc.) mais l’auteure a réussi ce petit miracle de ne jamais me faire sauter une ligne ou un paragraphe !
Marlen apprend à traire une vache, l’aide à mettre bas, et aussi apprend à conserver la viande des animaux qu’elle tue, monter vers l’alpage pendant l’été, faire pousser de l’herbe pour nourrir les animaux en hiver, etc. Bref ! un vrai guide pour apprendre comment survivre à condition d’avoir des animaux domestiques et sauvages à proximité !
Sa vie d’avant apparaît par bribes, quelques détails seulement. On apprend que Marlen avait deux filles qui sont peut-être mortes…La description des relations avec les animaux domestiques est à la fois touchante et intéressante car elle montre à quel point notre survie dépend aussi d’autres espèces.
On ne sait pas comment finira Marlen. Sans doute seule. On ne sait pas si d’autres personnes ont réussi à survivre. Un homme apparaît, le temps de tuer Taureau et d’être abattu par Marlen. Une péripétie, sans plus.