Ripley Bogle

roman de Robert McLiam Wilson, traduit de l’anglais par Brice Matthieussent

Il est toujours difficile de restituer son émotion quand on a eu la sensation de lire un chef d’œuvre. Soulignons déjà la géniale traduction de Brice Matthieussent grâce à qui le sentiment d’être en train de lire un texte traduit ne nous effleure jamais.
Mon enthousiasme est semblable à celui que j’ai exprimé à la lecture d’Eureka Street, du même auteur.

Ripley Bogle, jeune irlandais âgé de 22 ans, erre dans les rues de Londres où nous le suivons pendant quatre jours. “Clochard céleste”, beau et intellectuellement doué, Ripley Bogle est issu de la banlieue ouest catholique de Belfast, d’une famille nombreuse dirigée par des parents peu aimants. Grâce à ses aptitudes géniales, Ripley est repéré et obtient une bourse d’étude pour Cambridge où il se fera vite remarquer en raison de son comportement anti-conformiste.

Tout en déambulant dans les rues de Londres, Ripley raconte sa vie. Il n’a qu’un seul ami, un vieux clochard qui lui offre des cigarettes et avec qui il philosophe. Les descriptions de la dégradation d’un corps qui subit la violence de la rue sont terrifiantes. Bogle nous balade au sens propre comme au sens figuré, surtout quand il raconte ses amours avec Laura, rencontrée à Cambridge, issue de la bonne société. Ou encore quand il livre la vérité sur les circonstances de la mort de son ami Maurice (un passage qui m’a autant émue que la mort du Prince André dans Guerre et Paix de Léon Tolstoï, qui est pour moi une expérience littéraire inégalée).

La tragédie de la jeune vie de Ripley Bogle est nuancée par son sens de l’humour. Il plane sur ce livre l’esprit picaresque de Laurence Sterne (écrivain anglais du XVIIIe) et aussi celui de James Joyce pour le côté irlandais et la structure du récit organisée autour d’une déambulation urbaine.

Robert McWilson est de son vivant une sorte d’auteur culte mais qui ne sa cache pas (à la différence de Thomas Pynchon ou de Salinger). Il paraît qu’on peut le croiser dans les rues de Paris où il vit. Il pige pour des journaux comme Charlie Hebdo. Je tire ces informations de la lecture de l’excellente revue Sphères (revue trimestrielle de récit long format et de photographies). Robert McWilson produit peu et c’est dommage. Peut-être est-ce le signe de son génie ? Il n’a rien écrit depuis 26 ans.

“L’emmerdant chez les vieux, c’est qu’ils sont vieux. Ils sont pompeux, intolérants, acariâtres. Ils n’ont ni spontanéité ni vigueur. L’âge les rend très sentimentaux.
L’emmerdant chez les jeunes, c’est qu’ils sont jeunes. Ils sont têtus, prétentieux, insolents. Nous n’avons ni sagesse ni jugement. La jeunesse nous rend très sentimentaux.”

Fausse sagesse, vraie dérision…un mélange que j’adore.

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