Un bonheur parfait

de James Salter (Points)

Et un livre parfait que l’on parcourt comme dans un rêve (même si rien de relève du rêve dans ce livre), avec des personnages qui semblent survoler leur vie.

Viri et Nédra semblent vivre un bonheur parfait ? Une impression de flottement glisse entre eux. C’est infiniment triste mais tellement beau lorsque Nédra décide de reprendre sa liberté.

La fin du livre :

“Cela n’a été qu’un rêve. Une longue journée, un interminable après-midi, des amis s’en vont, nous restons sur la berge. Oui, songea-t-il, je suis prêt, je l’ai toujours été, je le suis enfin.”

Page 208 :

“La force de changer votre vie vous vient d’un paragraphe, d’une remarque isolée. Les lignes qui nous pénètrent sont comme ces vers, les trématodes, qui vivent dans les rivières et s’introduisent dans le corps des baigneurs. (…) Comme tant d’autres choses, ces phrases au style poli arrivaient au bon moment. Comment imaginer ce que serait notre vie sans la lumière des autres.”

Page 181, une femme se plaint du temps qui passe, du temps qu’elle a trop consacré à un seul homme :

“N’avons-nous vraiment qu’une saison ? Dit-elle. Un seul été, puis c’est fini ?

Une façon infiniment belle et contractée pour exprimer la conscience d’une époque qu’on a aimée et dont on sait qu’elle ne reviendra plus jamais.

J. Salter est le prince de la comparaison et il en pratique l’art de façon souvent étonnante. Page 275 :

“Il avait l’assurance, les lèvres gercées d’une personne résolue à vivre sans argent.”

Page 349, du grand art !

“L’air était déjà baigné d’une lumière italienne, uniforme, pareille aux portes d’un théâtre ouvert le matin.”

Page 371, encore l’air :

“L’air était doux comme un premier jour de convalescence.”

Page 355, la métaphore du repas que Viri utilise aussi au début du livre :

“Elle avait une petite voiture, d’innombrables paires de chaussures, dit-elle avec un sourire mélancolique, un peu d’argent en Suisse ; elle était comme un repas tout préparé. Et vous êtes venu vous asseoir devant, dit-elle. Oui, c’est un merveilleux dîner, le repas d’une vie.”

Page 313, une amie commente la séparation du couple Viri/Nédra :

“(…) n’importe quel couple qui se sépare, c’est comme une bûche qu’on fend. Les morceaux ne sont pas égaux. L’un d’eux contient le coeur.”

Nédra explique à sa fille Franca qu’elle doit devenir une femme plus libre que sa mère :

“Tu dois devenir quelqu’un de libre. Elle n’expliqua pas ses paroles : elle en était incapable. Il ne s’agissait pas seulement du fait de vivre seule (…). La liberté dont elle parlait c’était la conquête de soi. Ce n’était pas un état naturel. Ne la connaissaient que ceux qui voulaient tout risquer pour y parvenir, et se rendraient compte que sans elle, la vie n’est qu’une succession d’appétits, jusqu’au jour où les dents vous manquent.”

Lu en 2015

 

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2 réponses à Un bonheur parfait

  1. isacosta2013 dit :

    Moi j’ai adoré la façon dont JS arrive à traduire la sensibilité féminine américaine de cette époque.

  2. fleury14 dit :

    Ce livre m’a renvoyée longtemps en arrière, lors de ma lecture de Madame Bovary. Un personnage féminin que j’ai trouvé similairement insatisfait, superficiel et à qui, j’avoue, j’avais envie de donner des claques. Mais c’est magnifiquement écrit !

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