Une chronique familiale et un roman sur la violence envers les femmes.

Judas, Astrid Holleeder, traduit du néerlandais par Brigitte Zwerver-Berret et Yvonne Pétrequin, Editions du sous-sol

Deux femmes, Martina Cole, traduit de l’Anglais par Catherine Cheval et Marie Ploux, Fayard

les halles 3 mai 2017

Paris, Les Halles, mai 2017

Je n’ai pas publié de compte-rendu depuis quelque temps, même si la pile “livres lus” monte, monte… Je n’aurais pas forcément écrit sur ces deux livres si l’actualité ne m’avait pas rattrapée. J’en parle en parallèle parce qu’ils traitent tous deux de l’oppression masculine exercée sur les femmes dans le cadre familial. Deux livres qui se déroulent à la même époque – la décennie 1970/1980 – l’un aux Pays-Bas, l’autre en Angleterre. Ces deux livres ne sont pas d’une grande valeur littéraire. Judas est un témoignage, “une chronique familiale” ; Deux femmes relèvent plutôt du roman sociologique. Cependant, tous les deux m’ont secouée.

“Une femme meurt tous les trois jours en France sous les coups de son conjoint”, Le Journal du Dimanche, 22/23 septembre 2018

 

Judas est un témoignage terrifiant sur la façon dont un homme peut exercer le pouvoir de la peur sur toute une famille, par la menace physique permanente. Judas, c’est Astrid Hoelleeder (et sa soeur) qui vont finir par dénoncer leur frère Willem, un des pires criminels des Pays-Bas, paraît-il. Il s’est fait connaître en 1983 pour avoir enlevé le patron de Heineken et son chauffeur. Willem est un mafieux, une terreur : libre ou emprisonné, il sait tout, voit tout et menace sa famille en permanence. Il va jusqu’à faire assassiner son meilleur ami (et beau-frère), Cor.  La violence ne date pas d’hier dans cette famille. Déjà, le père, contremaître chez Heineken, en apparence inoffensif et incolore, était un alcoolique frustré qui frappait femme et enfants et savait aussi manier la violence verbale.

“Certains pères utilisent la violence contre leur compagne, leurs enfants pour maintenir leur pouvoir. Cette formulation “utiliser la violence”, est pour moi très importante, car plusieurs des hommes qui frappent leur femme ou qui sont autoritaires ne sont pas des hommes réputés pour leur violence dans la vie de tous les jours. Ils sont votre voisin de bureau, des gens autour de vous. Ils peuvent être des gens aimables en d’autres circonstances. Mais ils font le choix d’utiliser la violence avec leur famille pour maintenir leur pouvoir et leurs privilèges.” Michael Kaufman, écrivain canadien, interrogé dans Le Monde du 20/07/18 à propos de la fin du patriarcat.

A partir du moment où Willem se sent traqué, la vie de ses deux soeurs, Sonja et Astrid, devient un enfer. Il les convoque sans cesse pour des conversations dans la rue (peur des écoutes), au cours desquelles il alterne les caresses – en faisant appel à leur “esprit de famille” – et les menaces physiques sur ses soeurs et leurs enfants. Willem est tordu et malin à la fois : il possède un instinct infaillible pour sentir la peur et le mensonge. Astrid est avocate. On se demande comment elle a réussi à mener ses études dans une telle ambiance familiale. Son lien de parenté avec Willem pèse lourd dans sa vie professionnelle.  Pourtant, c’est d’Astrid que Willem se sent le plus proche même s’il s’en méfie. Sonja, l’autre soeur, est une bimbo mariée à Cor (que Willem fera assassiner). Je me suis sentie soulagée quand les deux soeurs décident d’aller parler à la police.

Judas est un témoignage aussi effrayant que monotone, scandé par ces rendez-vous quotidiens entre Willem et Astrid, puis les rencontres avec la procureure. Astrid use de toute son intelligence et de son énergie pour ne pas énerver son frère ou se trahir. C’est épuisant, pour elle comme pour le lecteur. Je crois que les soeurs sont toujours protégées par la police et Willem en prison.

Changement de pays mais pas de thématique avec Deux femmes. Je ne sais plus pourquoi j’ai acheté ce livre qui attendait dans ma bibliothèque depuis quelque temps. Paru en 1999, Deux femmes ne brille pas par ses qualités littéraires et pâtit d’une traduction remplie de coquilles. Martina Cole, l’auteure, est une auteure de best-seller très appréciée Outre-Manche. Elle nous introduit dans une banlieue déprimée, l’East End londonien, avec l’histoire de Susan qui subit doublement la violence masculine : celle de son père, le caïd du quartier, puis celle de son mari, Barry, qu’elle épouse à l’âge de 16 ans pour échapper aux agressions sexuelles de son père. Quelle erreur : elle en bavera tout autant, voire plus, et devra son incroyable survie à l’amour qu’elle porte à ses quatre enfants. Avant un drôle de happy end, Susan va passer par la case prison après avoir tué Barry ou du moins s’en accuser pour sauver sa fille aînée. En prison, elle partagera la cellule d’une femme perverse, accusée d’avoir tué son mari parce qu’il la maltraitait (mais cette version n’était pas la bonne…).

Bref ce livre est très violent, complaisant dans les scènes d’agression. A tel point que, plus d’une fois, j’ai eu envie de m’arrêter. Pourquoi s’infliger une telle lecture ? Parce que, au-delà de la violence, je me suis sentie à la fois happée et tétanisée par l’histoire de Susan. En arrière-plan on apprécie la solidarité entre femmes, les voisines/amies toujours présentes pour récupérer les enfants quand Susan est hospitalisée. Toutes ne sont pas des victimes. La mère de Susan, par exemple, a choisi son camp : celui de sa survie au détriment de ses enfants et surtout de sa fille Susan. Le tableau sociologique est intéressant. Nous sommes dans les années Thatcher (que ces femmes admirent car “elle a des c….” et en remontre aux hommes). Dans le milieu décrit par M. Cole, les femmes ne travaillent pas et les hommes n’ont que des activités illégales. Les femmes font des enfants et s’occupent de leurs maisons. Elles achètent leur ‘tranquillité’ au prix des liaisons extra-conjugales de leurs maris, sur lesquelles elles ferment les yeux mais à condition que l’argent rentre toujours dans le foyer (Susan et Roselle, la maîtresse de Barry sont liées par une grande amitié dès leur rencontre, et Roselle va soutenir Susan jusqu’au bout). La violence est un élément accepté, qui fait partie de la vie.

En 2018, qu’est-ce qui a changé ? En France, la violence envers les femmes est un sujet dont on parle maintenant sans tabou, des chiffres sont publiés, des politiques publiques mises en place. Il paraît que l’Espagne est très avancée dans la lutte contre les violences conjugales. Et ailleurs ? Cet été, le journal Le Monde proposait un tour du monde “des nouveaux codes amoureux”. Le reportage consacré à l’Afrique du Sud s’intitulait “Les femmes blessées d’Afrique du Sud” (11/08/2018). et sous nos yeux effarés, on pouvait lire que “parler d’amour avec des Sud-Africaines est impossible sans aborder la violence domestique et la brutalité des hommes du pays”. Et plus loin : “Selon une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de 2012, 65% des femmes du pays avaient subi des violences dans leur foyer au cours des 12 derniers mois.” Difficile de terminer cette chronique sur une note d’optimisme…

 

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